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Entretien avec Ton-Nu-Thi- Ninh, directrice de TRI VIET, ancienne diplomate en Belgique et auprès de l'Union Européenne


Madame Ton-Nu-Thi- Ninh avec le directeur de Francophonie Actualités
Madame Ton-Nu-Thi- Ninh avec le directeur de Francophonie Actualités

C’est ici à HANOÏ, en 1997 que la fondation Francophonie a pris un autre tournant, un nouveau visage et une nouvelle perspective d’orientation. Jusque-là c’était l’Agence Culturelle technique, mais maintenant c’est devenu une organisation politique.


Après une vingtaine d’années quel regard portez-vous sur cette institution en tant que francophone ?

D’abord, j’étais diplomate, et on m’avait chargé de participer à l’organisation du sommet. J’étais pour ainsi dire Secrétaire générale de l’organisation avec mon vice-ministre, qui était à peine francophone. Donc je faisais des rapports mais, pour tout ce qui était du travail quotidien, c’était lui.

Le Vietnam venait de sortir de son isolement international et commençait à normaliser ses relations et à s’intégrer de manière systématique à la communauté internationale.

Or, tout pays appelé à avoir un rôle régional ou international devra tôt ou tard, organiser des sommets, et de grandes conférences.

Cela fait partie justement de cette intégration, cela va dans les deux sens.

Donc ça a été le premier sommet international de la Francophonie organisé sur le sol vietnamien et en Asie, tout était nouveau. On sortait de l’embargo et donc évidemment nous avons eu à nous appuyer sur l’aide et l’assistance amicale de la France, du Quebec et du Canada, mais également de l’agence qui n’était pas encore l’OIF. Nous avons eu par le biais de ce sommet une collaboration très étroite.

Nous voulions vraiment bien faire à tous les niveaux, sur tous les aspects.

Evidemment qui parle de sommet multinational, fait allusion à la sécurité, la logistique et le protocole.Tout cela représentait un travail énorme pour nous, on a mobilisé des étudiants des départements de France. On a réquisitionné tous les grands hôtels.

C’est ainsi que j’ai passé une année à ne faire que ça. Il fallait faire venir et accueillir les journalistes.

Il y avait des problèmes de protocole même si les relations internationales sont au même pied d’égalité, dans la pratique il y a des grands et des moins grands avec des sensibilités à fleur de peau.

Et donc c’était un apprentissage et cela n’a pas été seulement du côté protocole et logistique mais aussi du contenu et l’organisation du contenu.

Le sommet a marqué un tournant avec la création du poste de Secrétaire Général. Premier Secrétaire Monsieur Boutros Boutros Gali, il a été investi de ses fonctions au Vietnam.

Au point de vue structure et institution, il y a eu un pas en avant, mais du côté vietnamien il y avait une nouvelle et aussi l’accent mis sur la Francophonie économique, la coopération et le développement pour justement que la Francophonie ne soit pas que linguistique et culturelle.

Donc deux dimensions politiques (création du poste de Secrétaire général) étant donné que nous étions justement en train de démarrer notre renouveau, on était particulièrement intéressé par le fait que la Francophonie ouvre également des portes à une coopération de développement économique et une coopération des affaires.

Et en fin de compte, ça a été un sommet réussi. Donc c’était un peu le baptême du feu pour le Vietnam qui, l’année suivante organisait le premier sommet de l’ASEAN.

Donc ça a vraiment facilité notre intégration internationale générale et régionale.


Quel rapport l’Etat vietnamien entretien avec l’OIF ?

Le fait que le locuteur français soit très minoritaire, bien qu’il y ait des jeûnes qui continuent à apprendre le français, à se perfectionner en français et cherchent des bourses dans les pays francophones.

Mais il faut être réaliste, la Francophonie se bat linguistiquement au Vietnam.

A l’époque où j’étais chargée de la Francophonie à l’OIF et à Bruxelles, je le disais, et à Monsieur l’Ambassadeur de France, je lui ai dit que le projet francophonie tourné vers l’avenir doit se faire avec les réalités du Vietnam.

Moi ce que je dis aux jeunes vietnamiens, je ne leur dis pas apprenez le français seulement. J’aurai très peu de jeunes qui me suivraient. Mais je leur dis, si vous êtes en train d’apprendre le français, soyez sûrs de vous-même et cela vous ouvrira des opportunités. Et comme je sais que les vietnamiens ont une certaine faculté et un certain don pour les langues, quand vous aurez besoin, vous apprendrez l’anglais en plus. Très facile.

J’ai connu beaucoup de jeunes diplomates qui ont commencé francophones et qui sont devenus trilingues avec leur langue maternelle.

Ce n’est pas facile et c’est l’inverse qui est plus difficile. Apprendre l’anglais d’abord et acquérir le français en plus, est très difficile.

Je voulais les conforter qu’ils ne s’en aillent pas en leur disant, abandonner le français alors que vous pouvez, rien ne vous empêche d’avoir les deux langues. Par contre quand vous aurez les deux langues ça fera une différence vis-à-vis de vos jeunes collègues, et j’ai dit à l’Ambassadeur qu’il faut tenir ce genre de discours aux jeunes.

Dire que le français est une langue d’opportunité parfois complémentaire ou bien principale, mais qui n’exclut pas une combinaison avec une autre langue étrangère.

Que ce soit l’anglais ou le russe ou le chinois.

Donc, moi je dirai que là où il y a le français implanté il faut le consolider, le conforter auprès de sa population cible, ou il faut le rendre dynamique.


Ceux qui y sont encore continuent parce qu’ils y sont mais comment vont-ils continuer à attirer les autres, c’est ça le vrai problème ?

Parfois ce qu’il faut faire et d’ailleurs le lycée français le fait si bien paraît-il et il y a toujours l’anglais en plus. On dit aux parents, n’enfermez pas votre enfant dans la Francophonie.

La Francophonie c’est un point d’attache, très fort à d’autres mentalités, si vous avez chois l’univers francophone, ça vous ouvrira des portes et il faut tenir ce discours adapté.

Ce discours, requiert des membres de la Francophonie, qu’ils participent activement à cette politique en offrant des bourses, en offrant des opportunités de travail auprès de leurs entreprises, etc...

Tout récemment, j’ai particulièrement apprécié l’initiative de la France à l’ONU, que l’Ambassade de France a lancé. Je reçois les nouvelles offres d’emploi des entreprises francophones belges, suisses, européennes, etc.

J’entends par là, un monde plus large que l’entreprise française, et donc c’est une sorte de partenariat avec le gouvernement vietnamien.

il y a aussi l’Institut français qui fait très bien son travail.

Disons que l’anglais c’est la langue régionale et des affaires. Le français également peut être aussi une langue d’affaires mais être en même temps la langue des échanges culturels et éducatifs.

Donc elle a une niche. Mais une niche assez importante.


Quel regard le Vietnam porte t-il sur les événements tragiques en rapport avec l’Islam en France il y a quelques mois ?

Si on étudie l’Arabe au Vietnam, c’est une petite niche. Les gens de confession islamique sont au nombre de 60 000 (soixante mille) dans le sud est, vers la frontière Cambodgienne et à Saïgon.

Mais il y a une petite Mosquée sur le chemin de l’Aéroport.

Mais les musulmans sont très modérés et très vietnamiens. Ils sont très calmes.

Ce qui se passe en France va être partout. L’Indonésie qui est tout prêt c’est le pays le plus peuplé de musulmans au monde.

Au Vietnam c’est une minorité très modérée, qui ne fait pas de bruit, qui est bien intégré et donc ce n’est pas un problème pour le Vietnam.

En réalité le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour que toutes les religions se sentent à l’aise.

De toutes les façons, nous avons une grande tolérance religieuse.

Il y a le protestantisme, le catholicisme, le boudhisme, le taoïsme qui n’est pas considéré comme une religion mais plutôt comme une philosophie de vie.


Quels sont les domaines où le Vietnam coopère le plus avec la France et l’Union européenne ?

La France et la Belgique sont très fortes pour la médecine. Il y a eu une coopération importante professionnelle entre le Vietnam et ces deux pays en particulier et surtout en cardiologie. Beaucoup de nos cardiologues ont été formés en France et ont fait des stages en Belgique francophone.

Nos médecins travaillent avec leurs collègues cardiologues français et belges qui viennent ici pour échanger, travailler, sur les sujets scientifiques qui relèvent de la science médicale.

Justement pour que ça ne soit pas perçu comme du passé, il faut cette impulsion, cet entretien, ce dynamisme, cette vitalité, cette initiative et cette créativité.

La France est évidemment un des pays qui investissent beaucoup dans le commerce. Bien que nous disons souvent que les entreprises françaises pourraient investir davantage. Nous leur rappelons régulièrement que la place de la France que nous souhaitons dans le top 5.

C’est dans l’intérêt même de la France, de la Francophonie de pousser les entreprises à s’impliquer davantage encore.

L’Union Européenne par contre est l’un des plus grands marchés d’exploitation du Vietnam après la Chine et les Etats Unis, et ça depuis 2000.

Ça fait partie de la diplomatie tous azimut du Vietnam. Plus nous exportons, moins nous serons dépendants. En même temps c’est parce que l’Europe a besoin de produits que nous fabriquons à grande échelle comme les chaussures de sport, les fruits de mer et aussi le vestimentaire.

Donc il faut voir aussi que le Vietnam exporte de l’électronique dont la production est dirigée par les grands groupes coréens.

Samsung a fait ici dans le nord ses investissements les plus importants. Les portables qui se trouvent à Paris sont peut être fabriqués ici.

Disons que le Vietnam a de très bons rapports avec l’Union Européenne.

Mon opinion personnelle c’est que l’Union Européenne devrait peut être s’intéresser davantage sur les plans stratégique et sécuritaire en Asie du sud pour ce qui se passe en mer de Chine.

Mais évidemment elle n’est pas géographiquement à côté mais en tant que pôle qui n’est pas seulement d’ordre économique mais aussi d’ordre géopolitique, je pense qu’elle devrait se sacrifier davantage.

Sacrifier davantage parce que tout se tient dans notre monde actuel. Alors tout va bien grosso modo avec l’Union Européenne et notre pays. Je l’ai dit à notre Ambassadeur, aux chefs de la direction européenne successifs et aux Ambassadeurs des pays membres que l’Europe.

Les pays européens devraient se profiler de manière plus forte et plus explicite en Asie.

En Asie du Sud Est on voit beaucoup les Taïwanais et on commence par voir quelques Indiens qui se pointent à l’horizon. Les européens sont là avec leurs affaires mais ils sont plus absents, plus en retrait.


Quel regard portez-vous sur le 12ème Congrès qui vient de se tenir à HANOI ?

Moi je me suis retirée de la Fonction Publique depuis huit ans et ici donc je n’ai plus accès aux activités internes. Mais ceci dit si on prend la perspective longue, moi ce que je dirai c’est que, cette politique d’ouverture et de renouvellement elle est là et elle restera. Personnellement, et j’entends les gens de l’extérieur me demander, est-ce que ça va être remis en cause ?

Non c’est impossible objectivement, inenvisageable.

Personne ne croirait y compris à tous les niveaux. Mais la question qui se pose, est-ce qu’on va aller assez vite pour ne pas rester derrière ?

Est-ce que le Vietnam va réaliser ses ambitions ? Devenir un pays plus ou moins industrialisé vers les années 2030. Alors la question, est-ce qu’on va être à la hauteur ?

Il est temps qu’il sache mobiliser les contributions professionnelles et intellectuelles. Notre école est beaucoup plus éduquée qu’avant. Donc par là, mobiliser la capacité de penser, la créativité et l’organisation.

Evidemment, on continue d’avancer. Je ne peux pas dire que maintenant c’est la même chose qu’il y a 20 ans, non ce n’est pas vrai. Mais ce qu’il faut faire, c’est se comparer autour de nous : La Thaïlande, Singapour et la Malaisie.

On ne peut pas se contenter de dire que c’est mieux qu’avant. Ce n’est plus une réponse en elle- même. La réponse c’est de dire est-ce qu’on arrive à acquérir le rythme de productivité qui nous permettra d’accélérer. La question donc c’est, la rapidité et l’accélération nécessaires pour pouvoir atteindre notre ambition d’être un pays industrialisé vers 2035.

Donc disons dans 20 ans.

Est-ce que dans 20 ans le Vietnam sera plus ou moins industrialisé ? C’est là, la question qui se pose.

C’est un grand chantier, à mon avis c’est un grand défi. Nous avons beaucoup de problèmes dont la corruption. La question des entreprises peu performantes ou pas performantes du tout. C’est quand même un fardeau pour l’économie, n’est ce pas ?

Ca, ce sont les deux grands problèmes qui doivent être réglés pour atteindre cet objectif.

Moi je pense que si on arrive à mettre en place un processus qui dynamise l’initiative, la créativité, la soif d’avancer des Vietnamiens et surtout les plus jeunes. En quoi les plus jeunes vietnamiens sont- ils moindres que les jeunes Thaïlandais ou les jeunes Malaisiens.

En tant que mère, je crois beaucoup en la jeunesse vietnamienne et par la même occasion, je me rends compte et encore davantage de la responsabilité qui pèse sur les plus âgés, les adultes et le gouvernement. Donc évidemment je ne dis pas que tous les jeunes sont des anges. Parmi les jeunes il y en qui s’imaginent que le monde extérieur est le paradis et je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça.

C’est un point de vue pour certains mais on ne va pas exporter la nation vietnamienne ailleurs. C’est ici que tout doit se passer.

Donc, je suis optimiste avec les yeux très ouverts, avec beaucoup de réalisme. Donc comme je le disais, il y a une grande responsabilité qui repose sur les épaules des personnes de mon âge et sur le gouvernement en général.


Connaissez-vous l’Afrique ?

Avec mon vice premier ministre, à l’époque où j’étais en fonction, on a été dans 6 pays d’Afrique pour assister à des conférences et au Zimbabwé.



Publication : 06-2016

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