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Chômage et pauvreté au Cameroun


Christine Lagarde et Paul Mbiya
Christine Lagarde et Paul Mbiya

Une mauvaise redistribution des fruits de la croissance.


L’économie camerounaise connaît depuis quelques années un regain de vitalité.

Ce qui justifierait cette affirmation est évidemment une croissance économique soutenue d’environ 5%. C’est la preuve que l’investissement devient de plus en plus important.

Or, d’après le Professeur Patrick Guillaumont, «l’investissement, instrument de l’accumulation du capital matériel, est au centre à la fois de la théorie de la croissance et des politiques du développement».

En d’autres termes, l’investissement est déterminé par la consommation, c’est-à-dire par la croissance, trivialement par la relance, la régulation du taux de  chômage et, par conséquent, la réduction de la pauvreté avec la redistribution des fruits de la croissance économique d’après les keynésiens.

Mais comment se fait-il que, malgré les efforts du gouvernement sur le plan social pour lutter contre la pauvreté, les couches les plus défavorisées de la société continuent de s’appauvrir alors que les personnes les plus aisées ne font que s’enrichir? Pourtant, nous savons que la réduction de la pauvreté est favorisée par la croissance du produit intérieur brut par habitant. C’est-à-dire par l’accroissement des ressources totales disponibles et par l’allocation d’une plus large part de ces ressources aux groupes les plus pauvres.

C’est alors qu’on s’aperçoit que la croissance de notre économie profite essentiellement aux barons du pays ainsi qu’à leur entourage.

D’après l’économiste Simon Kuznets, il est vrai, la croissance économique dans les pays en développement, à l’exemple du Cameroun, s’accompagnera nécessairement d’une accentuation de l’inégalité des revenus, du moins au début.

Seulement, il faut reconnaître que les difficultés du pays pour lutter contre la pauvreté résident dans son incapacité à lutter efficacement contre la corruption.

Déjà, en 1968, le politologue Samuel Huntington affirmait : «une société qui est déjà sous l’emprise de la corruption n’a guère de chance de s’améliorer lorsque la corruption est encore plus poussée.»

Dans un article intitulé « Subvertir la corruption », publié en juin 2000 dans la revue Finances et Développement du Fonds monétaire international(FMI), le professeur Robert Kligaart affirme : «la corruption systémique fausse les incitations, sape les institutions et redistribue la richesse et le pouvoir à ceux qui ne les méritent pas.

Quand la corruption porte préjudice aux droits de propriété, à l’Etat de droit et aux incitations à investir, le développement économique et politique se paralyse.» La paupérisation d’une grande partie de la population, malgré les résultats économiques encourageants, est facilement reconnaissable par l’état de délabrement des logements et des infrastructures, à l’exemple des drains non curés ici et là.

On ne saurait oublier la baisse constante du niveau de vie au sein d’une certaine tranche de la population.

Dualisme social et inégalité des chances en matière d’emploi : le cas des cités deNew-Bell et de Bonapriso dans la capitale économique Douala Il y a quelques années, après une enquête effectuée auprès de deux échantillons différents de 500 foyers de Douala, d’une part à New-Bell, quartier populaire, et d’autre part à Bonapriso, cité résidentielle, il ressort que chaque foyer tant à NewBell qu’à Bonapriso compte au moins un diplômé de l’enseignement supérieur.

Cependant, 80% des diplômés de Bonapriso ont trouvé un bon emploi à la fin de leurs études par l’entreprise de leurs parents et de réseaux d’amis. Quant aux 20% restants, ils ont été envoyés par leurs parents poursuivre des études de deuxième et troisième cycles en Europe ou en Amérique du Nord.

Au même moment, seuls 20% des diplômés de New-Bell ont trouvé un emploi sur la base de leur compétence, largement au-dessus de la moyenne, grâce à la volonté de relever le défi par la recherche permanente d’un emploi meilleur.

Après quelques années de travail, 2 % d’entre eux sont allés poursuivre des études doctorales en Occident. En d’autres termes, à niveau d’études égal, 80 % du reste des diplômés de New-Bell sont au chômage depuis plusieurs années.

Pour satisfaire leurs besoins primaires, 70 % d’entre eux se sont lancés dans le secteur informel, dont 30% dans le transport comme chauffeurs de cars de voyage, de taxis et de moto-taxis mieux connus sous le terme anglicisé de benskin au Cameroun, à cause de leur station toujours courbée, preuve du niveau de leur condition de précarité et de leur volonté d’améliorer leur statut social.

En ce qui concerne le problème du logement, 50 % de ces chômeurs débrouillards à la recherche d’un emploi stable, quoique dans le secteur de l’économie souterraine, vivent encore malgré un âge avancé dont la moyenne est de 35 ans sous le toit de leurs parents.

Toute cette grande masse de diplômés sans emploi de New-Bell en veut pratiquement à l’Etat qui, à ses yeux, ne remplit pas pleinement ses fonctions régaliennes.

Raison pour laquelle  ces personnes continuent de subir à longueur de journées des frustrations au sein de la société et davantage du noyau familial. Il est important de rappeler que le taux de chômage au Cameroun avoisine 30%.

C’est peut-être la raison pour laquelle de nombreux jeunes de la cité populaire de New-Bell, sans perspective ou horizon d’emploi dans le futur après leurs études, aspirent aujourd’hui à faire carrière aussi bien par passion que par mimétisme dans le sport et, en particulier, le football où la réussite peut être fracassante.

Eto’o Fils, jeune prodige et génie du ballon rond ainsi que d’autres footballeurs professionnels nés à New-Bell ou ailleurs au Cameroun de parents modestes sont devenus leurs seuls repères. Comme si cette fracture sociale profonde ne suffisait pas à prouver le déséquilibre de la société camerounaise avec son inégalité de chance de réussite aussi bien sur le plan scolaire qu’en matière d’emploi, nous notons également que beaucoup de personnes du troisième âge vivent en errance dans la capitale économique Douala par exemple. En effet, certains citoyens dépassés par leurs conditions peu honorables de vie et criblés de problèmes sont entrés dans la catégorie moins glorieuse de homeless ou des sans domicile fixe.

C’était le cas de ce sexagénaire de NewBell aujourd’hui décédé qui ne cessait d’interpeller les consciences au quotidien dans un silence assourdissant non loin de la mairie de Douala IIème. Ce vieillard à la mine toujours triste et évocateur de la disparition au sein de la société camerounaise des valeurs de solidarité cherchait l’amour des uns et la pitié des autres dans l’espoir de quitter l’état de homeless devenu avec le temps, une grande honte et un fardeau. C’est le calvaire de nombreux laissés-pour-compte de la société camerounaise marquée par un dualisme social profond.

On trouve des SDF sous tous les cieux, y compris dans les sociétés développées, à l’exemple de l’Allemagne dont l’article 4 de la loi fondamentale indique pourtant clairement « Brot für die Welt » (du pain pour tous). Mais lorsqu’il s’agit de personnes du troisième âge à la fois fragiles et affaiblies, cela devient plus délicat et très inquiétant.

A quoi servent alors les municipalités?

A quoi servent aussi ses politiques gouvernementales en matière de lutte contre l’exclusion sociale, la pauvreté, la paupérisation croissante des couches sociales les plus défavorisées du pays ?

A quoi sert enfin le ministère des Affaires sociales ?

Autant d’interrogations qui doivent inciter les pouvoirs publics à une lutte acharnée de la gestion chaotique et patrimoniale des biens de l’État.

Surtout que, le 16 décembre 1991, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 46/91 concernant les personnes âgées.

Les gouvernements ont été encouragés à incorporer les principes de l’Onu dans leurs programmes nationaux toutes les fois que c’était possible.

La gouvernance du Cameroun dans les classements internationaux.

Le Professeur Pierre Masse, à propos de la bonne gouvernance, affirme : «bien gouverner, c’est apporter aux hommes à la fois la sécurité, la liberté et la subsistance. »

En 1975, l’indice du développement humain(IDH) des Camerounais était d’environ 0,15.

En 1998, il était de 0,53, supérieur à celui du Pakistan.

Pour l’année 2010, sur 169 pays, l’IDH du Cameroun était de 0, 460 ce qui plaçait le pays au 131ème rang dans le monde, selon le Pnud.

Quant à l’indice de transformation de la Fondation Bertelsmann traitant des changements sociétaux en faveur de la démocratie et de l’économie de marché dans 128 pays en développement, le Cameroun occupait la 101ème place en 2010.

Pour ce qui est de l’indice de perception de la corruption de Transparency International en 2010, ce pays se pointait à la 146ème position sur 178 pays.

Pour l’indice 2010 de compétitivité mondiale du World Economic Forum, le Cameroun arrivait encore en queue de position à la 111ème position sur 133 pays.

En ce qui concerne l’indicateur Enabling Trade Index 2010, ce pays d’Afrique centrale riche en ressources naturelles et humaines occupait la 115ème place sur 125 avec un score de 3, 35 sur 3,90 pour l’Afrique subsaharienne.

Dans le rapport Doing Business 2011 de la Banque mondiale, le pays était à la 168ème place sur 183 pays.

En termes d’attractivité des investissements directs étrangers ou IDE, le Cameroun était à la 101ème position sur 141 pays du monde. Quant au coefficient de Gini, l’indicateur sommaire des inégalités dans la redistribution des revenus, il tendrait vers 1 ce qui prouve que les revenus sont concentrés entre les mains de quelques Camerounais au col blanc.

Il faut rappeler que le coefficient de Gini va de 0, si les revenus sont parfaitement égaux, à près de 1 s’ils ne le sont pas.

Comme vous pouvez le constater aisément, de nombreux défis restent à relever en matière de bonne gouvernance au Cameroun.

Le professeur Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, considéré comme «le plus célèbre croisé de la lutte contre la pauvreté de notre époque », pourr eprendre le professeur Paul Streeten de l’université de Boston, affirme : « Nous avons libéré le monde de l’esclavage, de la variole et de l’apartheid. Libérer le monde de la pauvreté est une entreprise encore plus capitale, qui nous permettrait de vivre dans un monde dont nous pourrions tous être fiers.»

Nous invitons par conséquent le gouvernement du Cameroun à s’investir d’abord dans la lutte contre le chômage donc la pauvreté.

Cette lutte demande des efforts multidimensionnels et multiformes auxquels il faudrait ajouter toute une série de contraintes multi-frontales. C’est à ce prix seulement et à la transpiration des efforts des uns et des autres que les Camerounais aussi bien du terroir que de la diaspora pourront être fiers de leur croissance retrouvée et de la perspective réelle de l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035 parce que profitant à tous, surtout au plus démunis de ce cher et beau pays.



Ferdinand Mayega


Publication : 06-2016

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